août 10, 2022
L'interview de l'auteur Pascal PRELAUD
La Dermatite Atopique Canine et vous, est-ce une longue histoire ?
Oui, en effet, c’est une très longue histoire qui a débuté à la fin de mes études vétérinaires. Comme souvent dans la vie, c’est la conjonction d’événements et de rencontres qui vous font choisir une voie. Étudiant, je souffrais d’un rhume des foins. Curieux de savoir si les animaux pouvaient aussi être allergiques, je me suis intéressé à ces maladies chez le chien. J’ai alors découvert (nous sommes au début des années 1980) qu’aux Etats-Unis on pratiquait des tests allergologiques chez des chiens souffrant de ce qu’ils appelaient une dermatite atopique. Le nom même de cette maladie n’apparaissant pas dans mes cours ! Je me suis donc plongé dans le sujet. Et c’est ainsi que, piochant dans les connaissances de la médecine humaine et dans les travaux de chercheurs américains et de cliniciens européens, je me suis forgé une expérience de cette maladie, de la dermatologie canine et de l’allergologie.En quoi cette maladie est-elle singulière ?
Cette maladie possède toutes les caractéristiques des maladies que je qualifierai de modernes, au sens qu'elles restent toujours, à notre époque, des défis thérapeutiques. Ces maladies sont typiquement inflammatoires, chroniques et mettent en jeu des interactions complexes entre le système immunitaire, les microorganismes que nous hébergeons et l’environnement au sens large, de la nourriture à la pollution en passant par les allergènes de la poussière de maison. Ce n’est pas une maladie simple avec une cause identifiée et un médicament qui permet de la guérir. C’est tout le contraire. C’est ce qui en fait l’intérêt pour le clinicien, mais c’est aussi parfois une source de frustration. Il faut identifier parmi toutes les causes possibles les plus probables et établir avec le maître du chien atopique un programme de traitement efficace et faisable, sans nuire à la qualité de vie ou à la santé. C’est un défi quotidien passionnant et heureusement aujourd’hui source de satisfaction.La maladie s’exprime-t-elle de la même façon chez tous les chiens ?
Non, la maladie s’exprime de façon très variable, tant en termes de gravité que de cause identifiée. La variation la plus spectaculaire est celle que nous offrent les races de chiens. Ainsi la dermatite atopique va s’exprimer différemment chez le bouledogue français, le Shiba inu et le berger allemand. Chez le premier, il existe des formes sans lésion ou au contraire avec des lésions étendues épouvantables, chez le deuxième, ce sont des démangeaisons initialement sans lésion sur des localisations plus inhabituelles comme les avant-bras ou le plis des coudes et, chez le troisième, on observe fréquemment des infections chroniques par des staphylocoques ou des champignons de façon très étendue. La liste est très longue avec les atteintes graves des westies, les démangeaisons violentes des staffies, le léchage des doigts du boxer, les otites et les atteintes des lèvres du cavalier King Charles etc.A-t-elle un impact sur la vie de famille ?
Toutes les études le prouvent, cette maladie affecte la vie familiale. En effet, alors qu’il est évident que la qualité de vie du chien lui-même est impactée, celle de ses maîtres l’est tout autant, voire plus. Soit parce que la réalisation du traitement est complexe, soit en raison de son coût, soit hélas parce que la maladie de peau elle-même crée de véritables nuisances : réveil des maitres dans leur sommeil quand le chien se gratte, coût des traitement, temps imparti aux soins, mauvaise odeur, vie sociale altérée. Il est donc essentiel, pour que cette vie avec la maladie soit la mieux vécue possible, de bien connaître la dermatite atopique, depuis ses mécanismes jusqu'au mode d’action des différents traitements. C’est parce qu’un traitement est bien compris qu’il est bien fait et donc efficace. L’amélioration de la qualité de vie passe donc, dans toutes les maladies chroniques, par ce que les médecins appellent l’éducation thérapeutique du patient ou encore celle du propriétaire dans le monde vétérinaire. C’est l’essence même de la genèse de cet ouvrage.Les traitements ont-ils beaucoup évolué depuis ces dernières décennies ?
Ces dernières décennies ont connu de très nombreuses évolutions techniques. Les plus spectaculaires (et les plus oubliées) sont celles des années 1980-90 avec l’avènement d’insecticides efficaces et non toxiques pour les traitements contre les puces et surtout le développement des aliments à visée thérapeutique. A la fin des années 1980, la découverte de l’implication des infections par les staphylocoques et par de petits champignons, appelés Malassezia, a permis de franchir un cap majeur dans le traitement des poussées de dermatite atopique.Puis le monde vétérinaire a suivi l’évolution de la médecine humaine en proposant des aliments hydrolysés (les plus hypoallergéniques qui soient) et la ciclosporine. La commercialisation de ce médicament a été un véritable tournant dans la médecine des petits animaux, parce qu’elle a généré de très nombreuses études cliniques de grande qualité, posant les bases de la médecine basée sur les preuves pour le chien. Plus récemment, la commercialisation de médicaments capables de stopper la sensation de démangeaison sans les effets secondaires des corticoïdes a permis de rentrer dans une nouvelle ère avec des possibilités accrues de confort pour les animaux les plus atteints. Nous sommes entrés ainsi dans l’ère des biothérapies, avec la mise sur le marché des premiers anticorps monoclonaux. Notez que contrairement à la médecine humaine, l’accès à ces médicaments est possible pour tous les patients.
Dans le traitement de la DAC, quelles sont les principales causes d'échec thérapeutique que vous constatez ?
Aujourd’hui les échecs thérapeutiques sont de moins en moins nombreux. La plupart sont attribuables à une interruption des traitements de fond : antifongiques ou dermocorticoïdes en week-end thérapie, immunomodulateurs, soins hydratants ou antiseptiques, traitements antipuces.Dans le traitement des crises, l’absence de prise en charge des infections (staphylocoques ou champignons) demeure de loin la principale cause d’échec. C’est d’ailleurs un des risques de l’automédication.
Pourquoi avoir écrit ce 100 QUESTIONS, et d'ailleurs pourquoi un livre ?
Comme mentionné précédemment, l’éducation thérapeutique est essentielle à la bonne pratique des traitements. Or il est très difficile dans le temps d’une consultation de tout expliquer et de répondre à la multitude des questions qui naissent dans le vécu de la maladie. Les réseaux sociaux offrent de nombreux outils mais ils peuvent être biaisés par les conflits d’intérêt ou trop techniques ou encore trop farfelus. Les documents sous forme de brochure ne permettent pas de faire le tour d’une maladie aux facettes multiples et très variables selon les patients. C’est pourquoi nous avons trouvé plus efficace de regrouper dans un petit livre pratique toutes les questions auxquelles nous avons l’habitude de répondre depuis des décennies.
A propos de l'auteur :
Pascal PRELAUD a consacré toute sa carrière vétérinaire à l’allergologie et à la dermatologie du chien et du chat. Il a mis au point les premiers tests allergologiques de laboratoire en Europe et développé un laboratoire d’analyses vétérinaire spécialisé en immunologie, pionnier du sérodiagnostic de nombreuses maladies infectieuses (1987-2012). Exerçant en dermatologie depuis la fin des années 1980 il a été un des premiers vétérinaires spécialistes de cette discipline en France. Il est connu pour avoir très largement simplifié le diagnostic de la dermatite atopique canine en proposant un système de critères efficace et simple immédiatement adopté dans le monde entier.Très impliqué dans la formation postuniversitaire des vétérinaires, il est aujourd’hui président d’honneur du groupe d’étude de dermatologie des animaux de compagnie (GEDAC) de l’association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (AFVAC).
Il est l’auteur de nombreux articles scientifiques et d’ouvrages traduits dans plusieurs langues sur le thème de la dermatologie canine ou féline, mais aussi en allergologie, endocrinologie et otologie.
Chef du service de dermatologie et otologie d’un hôpital vétérinaire en région parisienne, il garde une passion intacte pour la dermatologie et tout particulièrement pour les maladies multifactorielles (comme la dermatite atopique), les maladies dites transverses (faisant intervenir d’autres organes, ex : dermatoses d’origine neurologiques, maladies communes au tube digestif et à la peau, manifestations cutanées des troubles du comportement), celles ayant un impact sur la qualité de vie ou tout simplement encore mal comprises (dermatologie féline).